Après le succès remporté par Concept Car – Beauté pure en 2019-2020, le Musée national de la voiture du Château de Compiègne et la Rmn – Grand Palais programment en 2021 une nouvelle exposition consacrée à l’histoire de la locomotion. Déployée dans les salles du château et mettant en relation les véhicules présentés avec les fabuleux décors royaux et impériaux, l’exposition Vitesse propose au public une réflexion sur l’attrait de l’être humain pour la vitesse, des origines de l’histoire des transports terrestres jusqu’à nos jours.
Du char romain conservé dans les collections du Musée national de la voiture jusqu’aux véhicules de record les plus récents, elle offre à travers une cinquantaine de véhicules hippomobiles et automobiles, cycles et une centaine d’estampes, dessins, peintures et sculptures, un panorama de ce que le désir d’aller vite a inspiré aux créateurs les plus divers.
Le Musée national de la voiture du Château de Compiègne – premier musée de l’histoire dédié à la
locomotion, créé en 1927 – expose l’un des wagons spécialement conçus pour l’empereur Napoléon III, dont une légende tenace rapporte qu’il aurait été en 1855 le premier souverain à atteindre la vitesse de 100 km/h à bord d’un train, entre Marseille et Paris. La célèbre Jamais Contente électrique, première automobile à être chronométrée en 1899 au-delà de ce même cap symbolique des 100 km/h, appartient également aux collections de Compiègne. Si la poursuite de la vitesse est présente dès les premières courses équestres, le XIXe siècle et les révolutions industrielles vont lui donner une dimension universelle, qu’illustreront plus tard les compétitions sportives internationales.
Après les véloces véhicules hippomobiles du XIXe
siècle, araignées aux quatre roues égales ou élégants
sulkies en bois courbé, les automobiles conçues pour les rallies, la piste ou le record, incarneront pour la conscience collective cette recherche de célérité. L’efficacité aérodynamique et la légèreté y atteignent à une forme particulière de beauté où la performance, celle de la machine comme celle du pilote, s’apparentent à une quête de l’absolu.
Le propos de cette exposition est de retracer, grâce à quelques-uns des véhicules insignes jalonnant son histoire, l’évolution du concept de vitesse et le lien subtil qu’il entretient avec celui de modernité. Dès l’origine, ces performances ont profité, au-delà de l’ivresse des spectateurs, au perfectionnement communiqué. Cette exposition est organisée par la Réunion des musées nationaux – Grand Palais et le Château de Compiègne Ferrari, Ferrari 166 MM « Barchetta », Italie, 1949 (détail). Reno (Nevada), collection Anne Brockinton Lee – Robert M. Lee
L’envie d’aller toujours plus vite, à cheval, en voiture attelée, a suscité des innovations appelées aujourd’hui bicyclettes, motos et automobiles, qui ont rapidement amélioré leurs performances grâce à des compétitions sans cesse plus hardies. Dans les années 1890-1900, ces véhicules s’insèrent dans les calendriers et spectacles sportifs naissants, diffusés par plus de cinq cents nouveaux journaux spécialisés dans toute la France. Ces nouveaux champions, recordmen et recordwomen , optimisent les limites de techniques qui atteignent leur apogée dans les années.
De nouvelles performances se multiplient jusqu’à nos jours, sur des machines transfigurées par l’aérodynamique. Aux études en soufflerie s’ajoutent l’utilisation de nouveaux matériaux, la diversification des sources d’énergie, le recours à des techniques inédites et l’intégration de nouvelles données telles que la sécurité et l’environnement. Elles subissent néanmoins des phénomènes de ruptures et de confrontations comparables à ceux qui ont marqué l’adoption deces nouvelles machines par le XXe siècle. Ce texte propose d’explorer quelques-unes des joutes mécaniques et humaines des premières
décennies de ce siècle qui révèlent tout particulièrement comment la quête de la vitesse a croisé et sublimé les moyens de locomotion.
Nées dans les coulisses de l’histoire des compétitions et des records, ces joutes donnent lieu à des prouesses étonnantes, alimentées par la rage de vaincre. De la victoire de la bicyclette en 1889 au triomphe éphémère de Stirling Moss au Grand Prix d’Angleterre en 1955, chaque confrontation apporte un éclairage différent à cette quête incessante, source d’émotions pour les acteurs comme pour les spectateurs de ces exploits. La « machine à courir » de 1817, connue sous le nom de draisienne, ouvre une nouvelle ère de la vitesse. Pour la première fois, un individu peut répondre à son envie d’aller plus vite,
sans attelage. Ce sport aristocratique popularisé par la bicyclette dans les années 1890 offre des perspectives inédites. L’invention du moteur constitue un apport décisif à cette conquête où vitesse et liberté ne tarderont pas à se conjuguer. Le moteur libère de l’effort physique et conduit à des performances aux limites sans cesse repoussées. La barre des 100 km/h est franchie pour la première fois par une voiture en 1899, par une moto en 1904, celle des 200 km/h est dépassée par une moto en 1907, par une voiture deux ans plus tard. Ces vitesses, qui ne sont plus à la portée des amateurs, suscitent le rêve et cultivent l’admiration pour de « nouveaux héros ». Devenus des professionnels doués et entraînés, ceux-ci brisent régulièrement de nouveaux records, tandis que les machines conçues pour ces exploits sont optimisées en permanence. De nouvelles structures sont créées pour organiser ce besoin de dépasser, ou le concurrent, ou ce qui a été atteint auparavant. Des organismes internationaux et des infrastructures spécifiques (vélodromes et autodromes) voient le jour dès cette époque où l’ampleur et la cadence des progrès de la vitesse sont stupéfiantes. Richard Keller
À chaque heure, tu frôleras l’arbre de vie et l’arbre de science auxquels tu ne dois pas toucher… C’est dangereux. À ta place, de temps à autre, je sortirais
en voiture mécanique. Ah ! si Adam avait possédé une voiture mécanique !Maurice Renard, Le Docteur Lerne, sous-dieu, 1908
De même qu’elle rejoint le jeu, le hasard, la vitesse rejoint le bonheur de vivre et, par conséquent, le confus espoir de mourir qui traîne toujours dans ledit
bonheur de vivre. C’est là tout ce que je crois vrai, finalement : la vitesse n’est niun signe, ni une preuve, ni une provocation, ni un défi, mais un élan de bonheur. Françoise Sagan, Avec mon meilleur souvenir, 1984
Dans une lettre au comte de Grignan, Mme de Sévigné écrivait le 26 novembre 1670 : « Monsieur le Grand et le maréchal de Bellefonds courent lundi dans le bois de Boulogne sur des chevaux vites comme des éclairs. » « Vite », aujourd’hui plus souvent adverbe, était alors principalement adjectif. Cette image devenue usuelle, par laquelle la célérité d’un corps se mouvant dans l’espace est comparée à l’éclair, phénomène qui jouxte le surnaturel puisque perçu anciennement en tant que manifestation divine, illustre bien la différence de nature que présente la vitesse par rapport à ce que l’on pourrait appeler l’état natif de notre comportement. Si l’on considère que l’homme est né moyennement rapide, il paraît évident que, dès l’invention des premiers véhicules, il s’est approprié la vitesse du cheval. L’histoire de la locomotion relie généralement cette démarche à des considérations strictement pratiques. L’histoire est souvent triviale. Nous voudrions croire et c’est ce à quoi s’attache cette exposition que dans sa quête de vitesse l’homme a cherché tout autant, et peut-être plus, à combler sa soif d’absolu qu’à satisfaire un souci d’efficacité.
Plusieurs des étymologies du mot « vite » établissent un lien avec la vue : est vite ce qui est si rapide que seul le regard peut s’en saisir. La vitesse est facteur d’immatérialité : elle permet d’échapper à une forme de lourdeur qui nous est inhérente, en nous plaçant physiquement dans une situation où le temps, l’espace sont perçus en dehors des contingences, voire abolis. La vitesse, à certains égards, nous projette dans un monde abstrait. Quoi d’étonnant à ce que la machine, lorsqu’elle fera son apparition sur les routes, devienne son alliée naturelle ?
Il n’est pour s’en convaincre que d’observer les premières représentations de la vitesse automobile
telles qu’elles apparaissent au début du XXe siècle. […] La vitesse est toujours proche de l’enfer et, dès avant les dieux, le diable avait fait son chemin dans son évocation. Une lithographie datant de 1899 et intitulée Vertige montre le conducteur d’une voiture bleue roulant à plein régime, coiffé d’un casque où se dressent deux petites cornes. Vêtu du classique manteau de fourrure des pilotes, il jette à travers ses lunettes un regard concupiscent sur une passagère élégante dont l’écharpe flotte au vent, ravie face à l’abîme qui s’ouvre devant elle dans le tumulte de l’air et du moteur surchauffé.
Bouchra KIBBOU