LES VALISES DE JEAN GENET

Quinze jours avant sa mort, en avril 1986, Jean Genet remet à son avocat Roland Dumas deux valises de manuscrits. Que contiennent-elles de si précieux ? Toute sa vie. À première vue, un fouillis de lettres, de factures d’hôtel, de notes sur tout et sur rien, sur la prison, l’écriture, l’homosexualité ou le cinéma. Mais elles abritent également les traces vives d’un compagnonnage de seize années avec les Black Panthers et les Palestiniens.

Une autre histoire s’y dissimule encore : l’histoire d’un écrivain qui, à l’âge de 50 ans, renonce à la littérature. Que fait-il alors de sa vie ? Et qu’est-ce qu’écrit un écrivain qui n’écrit plus ? À cette question, les valises apportent une réponse : malgré lui, malgré son vœu de silence et sa « bouche cousue », Genet écrit. Il écrit sur tout ce qui lui tombe sous la main, enveloppe, papier à lettre d’hôtel, bout de journaux déchirés… Partout, il griffonne sa vie.
Et, un jour, mystérieusement, de ces milles notes éparses, surgit le manuscrit d’une œuvre qui va conjuguer, comme aucune autre, littérature et politique, et nouer la grande aventure des Black Panthers et des feddayins avec le récit de la vie d’un vieil enfant de l’Assistance publique.

Un mois après la disparition de Jean Genet parait Un captif amoureux, le plus grand livre écrit par un auteur occidental sur les Palestiniens en lutte. C’est ce cheminement secret qu’éclaire cette exposition à travers des manuscrits jusqu’alors totalement inconnus. De cet itinéraire qui va du silence à l’œuvre symphonique, les valises donnent à lire les étapes, des premiers tâtonnements jusqu’aux reflets de sa rencontre avec le peuple palestinien, devenue sa préoccupation majeure et l’objet central de son livre testamentaire.

Outre les valises, sont également montrés le manuscrit et le tapuscrit des textes de Jean Genet qui commentent en toute liberté les photographies que Bruno Barbey (agence Magnum) a prises, « avec l’œil d’un témoin objectif », en Palestine entre 1969 et février 1971 ; ils ont été publiés dans le magazine de l’image Zoom, en août 1971.
Jean Genet n’a pas manqué de contribuer à la Revue d’études palestiniennes, notamment avec un puissant témoignage après les massacres dans les camps de réfugiés de Sabra et Chatila, en 1982. La Revue lui a rendu un vibrant hommage dans sa livraison d’avril 1997. Des épreuves de la couverture des numéros dans lesquels l’auteur est intervenu, illustrée par des artistes de renom – Alberto Giacometti, Etel Adnan, Kamal Boullata, Dia Azzawi – complètent l’accrochage.

Exposition coproduite par l’Institut du monde arabe et l’Institut Mémoires de l’édition contemporaine Ce sont deux valises pleines d’inédits qui forment la matière de cet opus de la collection « Le lieu de l’archive » de l’IMEC. Brouillons, cahiers, dessins, correspondances, notes et coupures de presse, resitués dans leur contexte par Albert Dichy, apportent un regard neuf sur les dernières années de l’écrivain. L’ouvrage rassemble de nombreux manuscrits inédits, reproduits et accompagnés de leur transcription : le dernier atelier de Jean Genet, aujourd’hui révélé au public.

Bouchra KIBBOU

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